Le film décrypté : Shining de Stanley Kubrick
Stanley Kubrick restera probablement dans l'histoire du cinéma comme le réalisateur qui a était le plus à même d'être un inventeur de formes, au même titre que qu'un moraliste cynique. La principal force de ce regretté cinéaste était de ne pas être cinéphile outre mesure, et par conséquent de ne copier rien ni personne, mais livrer ses propres visions personnelles à chaque fois.
Si l'on garde à l'esprit en parlant de Kubrick son profond côté misanthrope et son iconoclasme, il est grand temps de voir à rompre avec ce cliché : non Kubrick n'était pas le reclus et le dépressif que l'on voudrait bien faire croire.
Le style Kubrick c'est une façon de faire inimitable : observer le monde comme un entomologiste, et le résultat est toujours peu flatteur. Qu'il s'agisse de science-fiction, de guerre, de film historique, tous les films du réalisateur sont de grandes toiles d'araignées où les hommes pris au piège se débattent en consatatant que les combats sont perdus d'avance. (exception faite de Eyes Wide Shut ultime film de Kubrick en forme d'ovni dans sa carrière). Au sein des réalisations du maitre, les films nous représentent les ravages de l'arrivisme, de la folie, de la passion, de la violence. Quand kubrick à aborder à peu près tout les genres, ce fut toujours dans le soucis de les tordre afin de les ramener à sa vision déspéré du monde et de l'humanité.
Shining réalisé en 1980 n'échappe pas à la règle bien au contraire et se situe même dans le pessimisme le plus achevé du réalisateur, une démonstration de désespoir. Basé sur un roman de Stephen King, car il est difficile de parler ici d'adaptation tant Kubrick à transformer l'histoire et les enjeux, il ne garde que le huis clos, l'hôtel Overlook, les personnages, modifie totalement le final, change en grande partie le déroulement, et enfin là où le roman s'axe sur le personnage de Danny et son don du shining, Kubrick lui fait tourner son histoire autour du père Jack Torrance et ses relations avec le monde des morts (Jack ayant comme son fils le don du shining). Côté matériel mis en place, Kubrick se situe comme un homme de défie et après l'éclairage à la bougie de Barry Lindon, il fait ici la place à la steadycam pour la plus grande partie des séquences (la steadycam est un dispositif de prise de vue harnaché au caméraman et qui dispose d'un système de contrebalancement pour permettre une image toujours fixe malgré les déplacements) dispositif cinématographique très peu usité à l'époque. De plus Shining tord le cou à tous les poncifs du genre et renie en bloc l'obscurité : tout s'y déroule dans une hypnotique clarté.
Côté développement le film propose trois axes de lecture : La lente avancé d'un romancier dans la folie qui ira jusqu'à vouloir tuer sa femme et son fils, un deuxième comme critique de la famille américaine et d'un père se sentant menacé par l'attachement de son fils aux forces surnaturelles, et enfin un troisième axe qui va m'intéresser plus particulièrement et qui s'inscrit dans un discours politique : l'action se situant sur un ancien cimetière indien, il ne faut pas oublié les deux sens du verbe overlook (nom de l'hôtel) le premier étant "jeter le mauvais oeil" et le second "fermer les yeux sur" "passer sous silence" ici passer outre le massacre des indiens. En effet l'amérique Wasp s'est basé sur le massacre des native americans et ce n'est pas un accident semble dire le film : l'homme blanc semble voué à massacrer encore et encore et ici comme il n'y a plus d'indien à tuer, c'est le propre fils du héros qui remplit ce rôle. "Péché de la race blanche, Lloyd, péché de la race blanche" dit Jack à un barman fantôme en levant son verre de Whisky. La répétition dans laquelle s'enferme l'humanité est signifiée par les écrits d'un romancier qui ne change que la mise en paragraphe et en forme d'une même phrase répétée à l'infini sur des pages et des pages : "Un tiens vaut mieux que deux tu l'auras" (épouvantable traduction anglais-français à signalé au passage).
Le générique du film s'ouvre sur le morceau musical du Dies irae (la colère de Dieu) et ici ce qui rend Dieu furieux est le massacre impuni des indiens par les colons blancs du nouveau monde. Ainsi la culpabilité refoulé que portent les descendants du massacre originel va resurgir tout au long du film. Assassiner les indiens revenaient à assassiner son semblable, la famille de Jack se trouvant donc être une proie toute désignée. Mais tout comme le dessin animé de bip bip et coyote que regarde Danny dans le film et le canyon du dessin animé devenant le labyrinthe du film adjacent à l'hôtel, tout finira bien pour Danny, car jamais le coyote ne mange bip bip. Toujours sur le générique, son premier plan est significatif (comme a peu près à chaque fois dans les films américains) de ce qui va se jouer par la suite : la petite île entouré d'eau deviendra l'hôtel Overlook entouré de neige et quand le héros arrivera à ce fameux hôtel, sa vie va basculé, exactement comme la perte du parrarélisme horizontale de la caméra au premier plan du film. Ainsi avec cet effet d'annonce, le héros est tenu, destiné à quitter le droit chemin. Le reflet de l'île à la surface de l'eau est elle là pour renvoyer au sous-sol de l'hôtel et au corps des indiens assassinés enterrés là, mais cette symétrie inversée s'applique également au personnage de Jack (bon père de famille vs tueur psychopathe)
Toujours en rapport avec le massacre originel des indiens, il n'est pas anodin de noter que la télévision familial un moment donné dans le film diffuse un western (genre propagandiste de glorification du massacre indien).
Dans son approche esthétique, Shining prend un malin plaisir à jouer des espaces et des décors comme aucun film n'a su le faire jusque ici : les avancées de la caméra dans les étroits couloir de l'hôtel (un hôtel qui écrase les hommes de son poids) allié à une grande profondeur de champ donne une impression d'avancé dans les méandres de l'Overlook, dans ses horreurs cachés, sa malédiction... La cage d'ascenseur qui s'ouvre pour déverser des hectolitres de sang à la même signification (avec la constante ambiguïté de savoir s'il s'agit du sang déjà déverser, où celui à venir : le don du shining se manifestant par des visions passés autant que futures). Le labyrinthe dans lequel se joue le final du film est la métaphore visuel d'un homme fou perdu dans les méandres de son esprit et incapable de retrouver la raison, mais aussi tout autant le cheminement de la race blanche incapable de réussir à aller de l'avant et revenant constamment sur ses pas et sur ses erreurs (le massacre encore et encore).
Dans sa construction et son déroulement Shining abolit toute frontière temporelle, mélangeant les événements passés et présent, manifestation des fantômes de l'overlook et le personnage de Delbert Grady ancien concierge de l'hôtel ici serveur et qui n'a pas le moindre souvenir du massacre de sa famille (histoire racontée par le gérant de l'hôtel à Jack lors de leur entrevue au début du film). Cette construction alambiqué mélangeant les époques témoigne encore et toujours du même vice de l'espèce humaine pour le goût du massacre, Jack étant dans sa culture identique aux hommes du passé, et y compris à ses ancêtres.
Voilà donc quelques clés de lecture de cette oeuvre complexe et riche qui constitue l'un des fleurons du film d'horreur, quand un réalisateur de très grand talent s'emparre du genre de l'horreur ça donne un monument de terreur et de thématique passionante et y a pas à dire : ON EN REDEMANDE !